Unity, la perte de confiance

Cette rentrée fut chamboulée par les diverses annonces de Unity, le kit de développement préféré des indépendants.


Rappel sur l’économie des kits de développement

Le 12 septembre 2023, Unity a officiellement dévoilé une révision majeure de son modèle économique. À l'instar de la majorité des moteurs de jeu, Unity a traditionnellement opéré selon un système de licences, avec des tarifs variant en fonction des objectifs de production, que ce soit pour des étudiants, des utilisateurs personnels, des professionnels, des entreprises ou des acteurs de l'industrie. Ce qui distingue anciennement ce logiciel de manière significative est son choix d'éliminer totalement les royalties, c'est-à-dire l'obligation de verser des paiements réguliers en contrepartie des droits d'utilisation ou de service.

Voici le modèle économique qu’a eu Unity au début (2 août 2013) jusqu’environs 2016 :

  • Licence payante :  facturée à l'achat avec paiement au mois ou en une fois, une licence pour deux postes de travail sans royalties
  • Licence gratuite :  gratuiciel (freeware) avec des fonctionnalités en moins, pas de royalties, mais toutes les fonctionnalités ne sont pas disponibles, incluent un écran de démarrage Unity

À partir de 2016, Unity passe sous un nouveau système économique :

  • Licence Personal : sans support
  • Licence payante Plus (40 $ mensuels) : accès au support
  • Licence payante Pro (150 $ mensuels) : si les bénéfices supérieurs à 200 000 $ sur les 12 derniers mois, accès premiums au support

Enfin, voici les derniers tarifs annoncés en septembre dernier :

Tarifs de Unity

Au début des années 2010, Unity apparait comme une alternative sérieuse pour le marché indépendant pour qui l’acquisition d’une licence Unreal Engine restait très onéreuse. En effet, au début de Unreal Engine 4 il fallait 19 dollars par mois et par poste. Ce n’est qu’en 2015 que cette politique évolua pour un système de royalties à hauteur de 5% du chiffre d’affaire brut.

Un modèle de royalties utilisé par d’autres concurrents tel que l’Unreal Engine promu par Epic. Lors de l'annonce de sa cinquième version, l’Unreal Engine 5 a adopté un système simplifié en souhaitant attirer spécifiquement le marché des développeurs indépendants. Dans ce nouveau modèle, des redevances de 5% sont appliquées uniquement lorsque le chiffre d'affaires atteint le seuil du million.

Tarif de Unreal Engine 5

Qu’est-ce qui a choqué dans l’annonce de Unity ?

La transition vers un nouveau modèle économique engendre inévitablement des frustrations. Cependant, ce changement de cap de Unity a suscité une attention particulière pour plusieurs raisons. En plus des modifications apportées aux modalités de licence, Unity a introduit une nouvelle composante qui a fait beaucoup parler d'elle : une "taxe à l'installation". Concrètement, chaque fois qu'un joueur installe un jeu développé sous Unity, le studio est désormais contraint de verser une somme de 0,20 $. Cette annonce a été d'autant plus choquante, car elle s'applique de manière rétroactive aux jeux déjà publiés, représentant ainsi un coup dur supplémentaire pour de nombreux développeurs.

Pas de “royalties”

Comme mentionné précédemment, l'attrait de Unity pendant de nombreuses années résidait dans sa version gratuite, qui offrait une accessibilité pour l'apprentissage du logiciel ainsi que la possibilité pour les indépendants de créer leur jeu sans de trop gros engagement financé sur l’acquisition des licences logicielles. Cependant, ce qui le distinguait le plus était son système de licence exempt de royalties. Cette approche permettait aux développeurs de conserver une part substantielle des revenus en cas de succès de leur jeu.

Tableau "complexe“ de l’application de la taxe souhaitée par Unity

Aujourd’hui, même si l'on remplace le terme "royalties" par "taxes", l'offre de Unity apparaît moins avantageuse pour les développeurs indépendants que d’autres possibilités. Ils se retrouvent dans l'obligation de payer une licence, en plus de cette nouvelle taxe, ce qui constitue une charge financière supplémentaire dans un système dans lequel les plateformes et éditeurs prennent aussi parfois un pourcentage des ventes.

La rétroactivité de l’annonce

Le nouveau modèle de Unity devait également s’appliquer rétroactivement aux jeux déjà publiés. Cette démarche semble s'inscrire dans la volonté de Unity de taxer davantage les titres à succès, notamment les jeux mobiles populaires comme Genshin Impact. Cette décision a suscité des réactions mitigées chez les développeurs, certains exprimant à la fois leur crainte et leur surprise face à ce retournement de situation.

Une communication de AggroCrabGame sur leur mécontentement
Une seconde communication de Massive Monster qui va dans le même sens

Cela revient à ne pas prendre en compte les plans de production des studios qui estiment toutes leurs dépenses et revenus potentiels à la fin d’une production. En effet, dans l’industrie, la vie d’un jeu ne s’arrête pas à la sortie, mais est rythmé par les événements en ligne, les influencers et les promotions ou pass. Cette décision remettait donc en cause les estimations des studios pré-annonce ainsi que leur plan marketing. Nombre de studios ont signé des deals avec Humble Bundle ou les gamepass pour une somme fixe. Avec le système mis en place par Unity, nombre d’entre eux auraient vu le revenu de la somme initialement promise diminuer.

Cette approche semble négliger les plans de production établis par les studios. Celui-ci se calcule généralement en début de production et comprend toutes leurs dépenses et leurs revenus potentiels jusqu'à la fin du cycle de production. Dans l'industrie du jeu, la vie d'un titre ne se limite pas à sa sortie initiale, mais elle est également influencée par des événements en ligne, l'engagement des influenceurs, les promotions et les opportunités (Epic/GamePass). La décision de Unity a donc suscité des préoccupations quant aux estimations préalables des studios ainsi qu'à leurs stratégies marketing pré-annonce.

Par exemple, de nombreux studios ont conclu des accords avec des plates-formes telles que Humble Bundle ou des services d'abonnement comme le Game Pass, en acceptant un montant fixe. Avec le nouveau système mis en place par Unity, on peut craindre que de nombreux studios voient les revenus initialement promis, diminué.

Une technologie obscure et des retombées inquiétantes

Un autre point d'inquiétude largement exprimé par les développeurs concerne la méthode de calcul employée. Comment détermine-t-on avec précision si les joueurs ont installé légalement notre jeu ? Est-ce que chaque nouvelle installation via une plateforme sera prise en compte de manière individuelle ? Qui sera responsable de la collecte de ces données ? Ces questions ont suscité de nombreuses interrogations auxquelles Unity a mis un certain temps à répondre, laissant planer une certaine incertitude. Finalement, Unity a annoncé que la responsabilité de transmettre ces chiffres reviendrait aux développeurs eux-mêmes.

À la question des Humble Bundle ou pack caritatif, Unity déclare que la taxe ne s’appliquera pas, mais le développeur se doit de déclarer de quelle cause il s’agit. Cela pose la question de ce qui validé ou non par une entreprise privée américaine. Ainsi, un des premiers revers de la médaille fut le refus de considérer le “planning familial“ américain (Planned Parenthood and children's hospital) comme étant une organisation recevable, la qualifiant de politique.

It was stated that Charity games would be spared, so we asked Unity to get a confirmation that we would not be affected, but they believe our targets (Planned Parenthood and C.S. Mott Children’s Hospital.) would NOT counts as “valid charities” and more “political groups”...
https://steamcommunity.com/games/1114380/announcements/detail/7132068756342000700

En plus des créateurs de jeu, cette annonce touche également les développeurs de plugin Unity qui voient leurs clients potentiels se tourner vers d’autres logiciels.


Unity revient en arrière, mais la confiance est rompue

Après plusieurs jours et quelques explications, Unity revient sur certaines décisions annoncées :

  • Unity Personal : le plafond augmente à 200 000$ au lieu de 100 000$ et le splash screen (écran de lancement) Made with Unity n’est plus obligatoire
  • Unity Pro et Unity Enterprise : la nouvelle politique économique démarrera à partir de la LTS version de Unity à partir de 2024
  • Unity Pro et Unity Enterprise : aucun jeu avec moins de 1 million de dollars de recettes sur 12 mois ne sera soumis à la taxe et pour ceux soumis à cette taxe, ils auront la possibilité de payer 2,5% des revenus ou d’appliquer ladite taxe sur le nombre d’installations au mois. Les deux chiffres seront auto-déclarés par les développeurs.

Un retour en arrière qui rassure les développeurs déjà engagés sur le moteur mais qui laissera une trace indélébile sur la confiance qu’ils pouvaient avoir dans l’entreprise.

Certains ont commencé leur migration vers Unreal Engine 5 (qui vient aussi d’annoncer hier une mise à jour de sa politique économique) ou le logiciel libre Godot. Un choix drastique qui marque le fort mécontentement de la communauté de Unity tant on sait le temps de cela nécessite à apprendre les subtilités d’un logiciel si complexe.

Une migration qui se voit à travers le nombre de jeux crée avec les moteurs de jeu du marché

Pour approfondir le sujet, je vous laisse avec la vidéo de ExServ. On ne sait pas ce que donnera à l'avenir cette mauvaise presse, mais il est certain que la confiance de vis-à-vis de l'entreprise est brisée pour une part importante des développeurs.